Pêche récréative sur la Côte d’Opale : quelles pratiques pour une meilleure gouvernance des littoraux ? (2016-2020)
PEROPALE est un projet participatif qui associe laboratoires scientifiques, associations et acteurs du territoire. La recherche se focalise sur les différentes formes de pêche récréative sur le rivage et dans la limite des deux mille nautiques, et ce sur la portion de la Côte d’Opale allant du nord au sud (Cap Gris-Nez / Equihen).
L’objectif final est de contribuer à une meilleure gouvernance des pratiques qui permettrait de concilier la préservation des ressources et le maintien d’activités traditionnelles.
Financement : Programme Littoral de la Fondation de France (150 000 €)
Porteur scientifique du projet : Hervé Flanquart, PU en aménagement et urbanisme TVES – ULCO
Objectif et méthodologie de PEROPALE
La recherche a porté sur la pêche de loisir sur sept communes de la Côte d’Opale, d’Audinghen au nord à Equihen au sud et dans la limite des deux milles nautiques (voir Fig.1). L’objectif était de contribuer à une meilleure gouvernance, afin de concilier préservation des ressources et maintien des activités traditionnelles faisant l’objet d’un fort attachement de la part d’une fraction de la population locale.
Quatre actions de recherche ont été combinées. L’action A a recueilli le maximum d’informations sur la situation, les aspirations et desiderata des uns et des autres, les conflits d’usage, etc. L’action B a construit une vision plus exacte de la fréquentation des lieux de pêche récréative, à l’aide des prises de vues aériennes et le traitement automatisé de cette information. L’action C a permis de faire une évaluation économique des bénéfices marchands et non marchands générés par les activités liées à la pêche récréative. Enfin, l’action D, phase de la recherche vers laquelle convergeaient les trois autres, a réuni, dans des focus group, un large éventail d’acteurs directs ou indirects de la pêche récréative pour élaborer des scenarii pour l’avenir.
Savoir-faire et éthique chez les pêcheurs de loisir.
Les entretiens avec des présidents d’associations de pêche et des pêcheurs ont permis d’élaborer un schéma dans lequel apparaît une double opposition : entre savoir technique sophistiqué et ignorance et entre éthique environnementale et préoccupations utilitaires.
Concernant cette seconde opposition, d’un côté les pêcheurs sous-marins, en surf-casting, au leurre, etc. sont perçus comme « responsables », de l’autre certains pêcheurs de bord pratiquant avec appât (sur la jetée de Carnot à Boulogne-sur-Mer, notamment) et à pied sont au contraire vus comme peu respectueux de l’environnement et surtout préoccupés de « remplir le frigo ». Les pêcheurs professionnels sont quant à eux souvent pointés du doigt pour leur sur-exploitation des ressources halieutiques.
Fig. 1 : la zone d’études PEROPALE
La marginalisation des pêcheurs de loisir.
Les entretiens semi-directifs que nous avons réalisés ont également permis de voir comment le réseau d’acteurs de la pêche est structuré dans le Boulonnais. Les services de l’Etat et les acteurs de la pêche professionnelle se situent au cœur du réseau, alors que les acteurs de la pêche de loisir se situent nettement en périphérie. Ce rejet dans les marges du réseau met bien en évidence leurs difficultés à être intégrés aux discussions et aux prises de décisions.
Ce qu’apprend l’observation aéroportée et depuis la côte.
La réalisation de vingt campagnes de mesures depuis la côte et de quinze par vols en autogyre ont permis de mesurer la fréquentation et de géo-localiser les zones de pêche de loisir embarquée. Si l’observation aéroportée a nécessité de nombreux développements techniques, l’utilisation des appareils photo à faible coût et à forte résolution, dans une trajectoire reproductible (le pilote de l’autogyre étant guidé par un GPS) demeure un atout dans la méthode développée par le LISIC. A la vitesse stable de 100 Km/h, les trois caméras prenaient une image toutes les 5 secondes. Les angles du support et les objectifs ont couvert, à une altitude de 500 mètres et en un aller-retour, l’ensemble de la bande littorale visée sur une largeur de 2 kilomètres. Les images ont été exploitées grâce à un logiciel créé pour l’occasion et produisant des fichiers *.csv, exploitables avec QGIS ou Google Earth.
Le partenariat établi avec la société Cap Aviateur et la méthodologie développée ont déjà été réutilisés dans le cadre du projet CPER MARCO et constituent la base d’une collaboration scientifique franco-allemande.
L’impact économique de la pêche de loisir sur la Côte d’Opale.
La pratique de la pêche de loisir génère de l’activité économique, et donc de l’emploi sur le territoire. La dépense des pêcheurs est décomposée en deux catégories : effets primaires (ou directs) et effets secondaires (effets indirects et induits). Mais la pêche de loisir est également une activité non marchande générant du bien-être pour ses pratiquant(e)s. Pour estimer la valeur économique des biens et services non marchands qui lui sont attachés, PEROPALE a estimé les bénéfices à partir d’une enquête par questionnaire sur sept sites et selon la méthode des dépenses déclarées et celle des coûts de transport.
Fig. 2 : situation des bateaux observés par autogyre
À partir des 189 questionnaires exploitables (sur 212) recueillis auprès des pêcheurs de loisir faisant l’aller-retour de leur résidence principale au site de pêche dans la journée, il a été calculé que leurs dépenses par sortie en restauration, achat d’appâts, équipements et entretiens d’équipements est d’environ 14,15 € ; ce qui correspond à 280 € par an. Ce chiffre reste modeste, mais les pêcheurs embarqués n’ont pas été interrogés. Pour évaluer la satisfaction qu’un pêcheur de loisir retire de la pratique de cette activité, on le questionne sur les dépenses supplémentaires qu’il serait prêt à faire (concept du surplus du consommateur) ; celles-ci sont de 106 € par sortie, ce qui correspond à 2.096 € par an Tableau 1). Chiffre déjà nettement plus élevé.
Tableau 1 : Le surplus du consommateur par sortie et annuel
Construire une meilleure gouvernance de la pêche en général et de la pêche de loisir en particulier.
L’objectif de l’Action D était de construire des scénarii visant à réguler certains conflits d’usage (détectés par les actions A et C) et de faire des propositions pour mettre en adéquation pratiques et réglementation.
Deux ateliers participatifs successifs ont été organisés en février 2019, avec des pêcheurs de loisir aux pratiques différentes. Ils se sont déroulés le samedi matin, au café le Portelois, situé face à la mer et privatisé pour l’occasion. Le premier, a réuni douze pêcheurs et a été débuté par un quiz « brise-glace » (méthode pour instaurer la confiance entre participants et entre ceux-ci et les animateurs). Ce quiz – basé sur les thématiques principales sorties des entretiens menés en 2017 auprès des pêcheurs de loisir – était structuré en trois parties : 1. Pêcher avec des règles ? ; 2. Comment vivre ensemble ? ; 3. S’organiser. Les échanges qui ont suivi le quiz ont dégagé les deux thématiques du second atelier : la question des quotas réservé à la pêche récréative et celle de l’éducation à la mer.
Le second Atelier participatif a eu lieu 15 jours plus tard. Seuls six pêcheurs de loisir y ont participé (dont cinq déjà présents au premier atelier). La question des quotas a été remplacée, à la demande d’un des participants et après discussion avec les autres, par celle de la problématique non-participation des pêcheurs de loisir aux instances décisionnelles, l’insatisfaction sur les quotas n’en étant que la conséquence. Pour les pêcheurs de loisir présents, la principale cause des quotas qu’ils se voient imposer est la surpêche ; qui est surtout le fait des pêcheurs professionnels et le résultat de leur logique économique de court terme.
Les participants se sont accordés sur un premier point : être associés aux prises de décisions afin d’obtenir des quotas correspondant mieux aux pratiques et à l’état de la ressource du moment. Cela éviterait également la fragmentation du monde de la pêche et favoriserait l’effort commun de reconstruction. L’objectif final est qu’il y ait demain « encore du poisson dans la mer ». Mais pour que les pêcheurs de loisir participent aux discussions (notamment au sein de la Commission européenne), que les lobbies de la pêche professionnelle ne soient pas les seuls à être entendus, il faudrait qu’ils s’unissent. Pouvoir et savoir se compter ainsi que compter les prises seraient un premier pas. On mesurerait ainsi le poids économique de la pêche de loisir, qui n’est pas négligeable.
Le second point d’accord des participant est l’insuffisance de l’information au public ; ce qui génère déviance et problèmes multiples. Il existe trop peu de classes de mer pour les scolaires, et des informations erronées circulent sur les périodes d’ouverture, les pratiques et la réglementation des pêches récréative et professionnelle. De plus, trop d’acteurs n’ont pas encore pris pleinement conscience que le contexte mésologique et sociétal implique que la pêche de loisir ne se pratique plus comme autrefois. Améliorer les connaissances permettrait de développer le « sens marin », de mieux respecter la ressource et de limiter les incompréhensions entre pêcheurs, professionnels et de loisir (Fig.3).
Fig. 3 : Arbre des fins et moyens pour l’information sur la pêche de loisir
Pour développer l’information sur la réglementation et les pratiques de pêche, il faudrait renforcer le corps bénévole et présenter plus souvent les résultats de recherches comme PEROPALE aux associations de pêcheurs. Pour l’information pour tous, les panneaux d’informations sur les différentes pêches récréatives et leur réglementation doivent être plus nombreux et plus visibles. Diffuser un cahier spécial pêche à pied dans la presse régionale – et en ligne – serait également un bon moyen de transmettre connaissances et informations. Pour améliorer les connaissances des pêcheurs de loisir sur les pratiques, les risques et la réglementation, une certification des élèves des écoles pourrait être mise en place, à l’image de ce qui se fait déjà pour le code de la route.
Restituer les résultats de PEROPALE.
Un séminaire final a été organisé le 22 novembre 2019, à Boulogne-sur-Mer. Ont été invités les acteurs de la pêche récréative et professionnelle, le personnel du Parc Naturel Marin Estuaires Picards et Mer d’Opale, les représentants de la DDTM et autres institutions. L’après-midi, des tables rondes ont permis aux différents participants d’échanger sur les thématiques déjà travaillées dans les ateliers.
Au cours de la recherche, plus de 1.000 photos prises par cerf-volant (à 80 m de hauteur). Elles ont été utilisées dans le cadre du projet PecheloCo, financé par la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (Lille). PecheloCo constitue donc la partie médiation scientifique de PEROPALE. 2000 livrets illustrés de 16 pages, reprenant les paroles des pêcheurs, ont été distribués dans les Offices du Tourisme du Boulonnais et à la Fête de la Mer de Boulogne-sur-Mer. Une sélection des 1.000 photos a été éditée sous forme de cartes postales et a servi de base a une exposition expliquant au grand public les pratiques, lieux et enjeux de la pêche de loisir. De plus, une des photographies prises par cerf-volant a été sélectionnée pour l’exposition itinérante « Regards de pêche » (association Rés-EAUx), présentée en 2021 et 2022. Les outils créés dans le cadre de PecheLoco seront également présents dans l’exposition.